ÉQUILIBRES INTERNES DU MUR

ÉQUILIBRES INTERNES DU MUR

Les murs traditionnels sont plus ou moins déformables et, suivant la nature de leur construction, des déformations relativement importantes peuvent être sans gravité.

Il semble que l’aptitude des murs à la déformation sans désordre structurel est d’autant plus grande:

• Que les pierres qui le constituent sont moins prismatiques,

• Qu’il y a davantage de mortier de chaux,

• Que le mur est plus mince,

• Qu’il comporte davantage de percements. Mais la déformation géométrique des percements entraîne des désordres fréquemment irrémédiables des menuiseries .

En ce qui concerne l’aptitude de certains murs traditionnels à la déformation sans désordre grave, il est important de souligner que les mortiers traditionnels de chaux, en particulier lorsqu’ils sont mouillés, ont une plasticité relativement importante, tandis que les mortiers de ciment moderne sont complètement rigides. C’est ainsi que, à la suite du seul tassement des mortiers, on observe parfois des désordres au niveau des chaînes d’angle, des jambes et des jambages en pierres d’appareil à joints vifs ou à joints maigres. En particulier, dans le cas de percements avec encadrement en pierres d’appareil et ouverts dans des maçonneries traditionnelles doubles et simples, les mortiers utilisés . pour hourder le mur ont lentement tassé sous les charges et surcharges, tandis que les jambages qui n’ont pas pu le faire accusent un flambage qui n’est pas toujours négligeable.

La fréquence des désordres est la plus grande lorsque les jambages ne sont pas harpés dans la maçonnerie courante.

Le tassement des parties courantes du mur sera d’autant plus important qu’elles seront plus soumises aux actions des eaux de pluie et des eaux souterraines (ascension capillaire).

La remarquable plasticité des mortiers traditionnels .de chaux donne aux murs une aptitude à la déformation sans désordre grave.

Le cas particulier des murs de commande

Les murs de commande, murs à appareils multiples et murs fourrés, se caractérisent par leur cohésion transversale et leur rigidité longitudinale.

Ce sont des murs massifs dont le poids propre est considérable par mètre linéaire de fondation : ils sont d’autant moins sensibles aux surcharges normales des planchers qu’eUes restent marginales par rapport au poids propre et que les murs sont fondés, soit sur le rocher, soit sur des ouvrages profonds et sophistiqués.

La probabilité de déformation des murs de commande est aussi faible que leur aptitude à subir des déformations sans rupture.

La rigidité des murs de commande est structureUe et correspond bien à ce qu’étaient les objectifs et les moyens techniques, autoritaires et financiers des constructeurs qui visaient à la pérennité.

Montées à joints vifs ou maigres, les pierres d’appareil dont les parements internes bien dressés sont pratiquement en contact les uns avec les autres suivant la géométrie particulière de leur stéréotomie (carreaux, boutisses, parpaings), participent directement à la résistance du mur. C’est le béton de la fourrure, qu’eUe soit litée ou en blocage, qui associé aux parements appareillës (joints vifs ou maigres) donne sa rigidité au mur fourré.

Les murs de commande peuvent être rencontrés dans des programmes de réhabilitation où ils ne constituent, en général, qu’une partie des murs de l’édifice: ainsi, les murs des anciennes enceintes urbaines ont été relativement fréquemment incorporés aux constructions plus récentes qui y sont adossés. Parfois, la maçonnerie fourrée d’un rempart a été partieIIement détruite par les constructeurs des maisons adossées qui n’ont conservé du mur d’origine, qu’un parement et une partie de la fourrure; les matériaux enlevés Ont été utilisés pour construire la maison adossée; à la fondation près, ce n’est pas un détail, l’ancien mur fourré n’est plus qu’une maçonnerie à double appareil.

Les murs traditionnels ordinaires

Bien qu’ils aient été montés avec une grande rigueur géométrique, les murs traditionnels ordinaires en maçonnerie double observés en situation ont des défauts d’aplomb et de planéité dont l’amplitude varie d’un endroit du mur à l’autre: ils Ont subi des déformations dans les trois directions de l’espace.

Les désordres géométriques sont fréquemment sans gravité grâce à la capacité de déformation sans désordre des murs doubles. Cette plasticité remarquable peut parfois permettre de remédier simplement à certaines déformations localisées.

La capacité de déformation sans désordre technique des murs simples en pierre ainsi que la possibilité d’y remédier simplement sont limités par la relative fragilité de la monoparoi. Les murs en pisé de terre (tapy) et les murs en galets SOnt en général moins élévés que les murs

en maçonnerie traditionneIIe ordinaire. Ils sont rarement déformés sans rupture car ils sont rigides et, lorsqu’ils sont soumis à des contraintes, ils ont plus tendance à se casser qu’à se déformer.

En ce qui concerne les murs en pierre sèche, des déformations importantes peuvent être observées qui sont spécifiques et irréversibles: comme chassées du mur sous l’effet des charges, des parties de maçonnerie sortent de l’aplomb en provoquant le tassement des parties supérieures; sans le coussinet du mortier, ces pierres qui n’ont entre eUes que des contacts ponctuels peuvent être poinçonnées et se rompre d’autant plus facilement qu’il s’agit souvent de calcaire en plaquette.

Déformation et stabilité interne du mur

La remarquable capacité de déformation des murs traditionnels ordinaires, sans qu’il y ait pour autant de désordre grave, résulte à la fois de la forme souvent un peu arrondie des pierres et de la relative plasticité des mortiers de chaux.

Ces deux particularités font que le mur conserve sa cohérence lorsque les mouvements relatifs entre les éléments constitutifs durs, les pierres, n’ont pas une amplitude supérieure à la plasticité du mortier.

Le mortier de chaux est moins résistant que les pierres : dans les maçonneries traditionnelles ordinaires, la résistance du mur à la compression est celle du mortier de chaux; dans les maçQnneries de commande à joints maigres, le mortier en lame mince, captif du joint, a une résistance à la compression fortement majorée; dans la maçonnerie de commande à joints vifs, la résistance à la compression du mur est ceIIe de la pierre.

Lorsqu’il est mouille, la plasticité du mortier de chaux augmente sensiblement tandis que sa résistance diminue. On peut ainsi par mouillage, réduire assez simplement des désordres limités (voir chapitre Les techniques réparatrices). Les murs traditionnels ordinaires sont d’autant plus déformables et dégradés qu’ils sont mouiIIés régulièrement par des évacuations sanitaires défectueuses, qu’ils sont mal protégés des eaux de pluie (rôle des corniches, des enduits et des rejointements) ou qu’ils sont davantage imprégnés par les remontées capillaires des eaux phréatiques.

Le mur conserve sa cohérence lorsque les mouvements relatifs entre les éléments constitutifs durs, les pierres, n’ont pas une amplitude supérieure à la plasticité du mortier.

Moins dur que les pierres du mur, le mortier de chaux joue le rôle d’un coussinet légèrement déformable, C’est le mortier qui va être sollicité à l’apparition de la contrainte lorsque, sous l’effet d’un effort externe accidentel (tassement de fondation, poussée à composante horizontale perpendiculaire au plan du mur) ou de la rupture d’un ouvrage incorporé au mur (linteau, arc de baie … ), la maçonnerie va se déformer ou se rompre .

• Les contraintes accidentelles provoquent la déformation qui va induire un léger déplacement des éléments durs du mur; les pierres dont les aspérités mises en discordance avec leur forme en creux moulée à l’origine dans leur gangue de mortier vont le poinçonner, au prix d’un léger tassement.

• Lorsque la déformation s’amplifie, dans certaines parties du mur où les efforts internes sont les plus importants et si l’effort de poinçonnement du mortier est inférieur à sa résistance, les pierres s’organisent suivaIit un arc de décharge: dans la structure invisible de cet arc créé et mis en charge par le désordre, le mortier de chaux conserve son rôle de coussinet de répartition des charges entre les pierres qui jouent le rôle de claveaux; la stabilité de l’arc peut être temporairement ou définitivement assurée. La stabilité de l’arc est encore assurée, après au moins deux siècles d’existence, dans beaucoup de linteaux de construction modestes: simple planche de 2 à 3 cm d’épaisseur, le linteau en bois est en réalité un coffrage perdu, conservé en situation et aujourd’hui fréquemment dissocié de la maçonnerie qu’il est censé supporter; il a servi te temps de monter la maçonnerie ordinaire en position de linteau; dès la première amorce de flèche de ce coffrage, la maçonnerie en situation de linteau s’est organisée suivant un arc invisible ou parfois souligné par une fissure courbe prenant naissance aux angles supérieurs de la fenêtre.

FORMATION DE L’ARC DE DÉCHARGE

ou des parties de l’ouvrage. Dans le cas des maçonneries doubles, le seul parement peut être concerné (ex: rupture du linteau de tableau ou de l’arrière linteau), et le désordre peut être amplifié par une dissociation transversale, souvent localisée, des deux parements du mur (bouffement).

Le mortier joue le rôle de coussinet à l’apparition de la contrainte: si la déformation s’amplifie, les pierres s’organisent suivant un arc de décharge.

Lorsque le mortier est complètement poinçonné, les pierres en arrivent au contact direct par points de tangence très réduits: le désordre peut s’amplifier et conduire à la rupture de parties de l’ouvrage.

Avantages et inconvénients du mortier de chaux

Du fait de sa plasticité, le mortier de chaux est très bien adapté à la stratégie constructive traditionnelle dont les bâtiments sont déformables : leurs fondations hourdées à la chaux ne sont pas toujours posées sur un bon sol homogène et n’ont qu’une faible rigidité transversale et longitudinale; les poutres en bois et les enduits reposent sur des appuis simples; les charpentes ne sont pas triangulées, etc.; hourdés à la chaux, les murs eux-mêmes sont déformables à l’exception d’éléments structurels particuliers appareillés en pierres de taille, parfois générateurs de désordres par réaction.

On dit du mortier de chaux qu’il respire, et cet aspect de sa perméabilité à la vapeur d’eau qui permet d’équilibrer les humidités interne et externe est perçu comme un avantage (en particulier pour les enduits qui sont à la fois perméables à la vapeur d’eau et imperméables à l’eau). En revanche, la capacité qu’a l’eau de l’imprégner et de s’y déplacer est un inconvénient d’autant plus sérieux que presque tous les matériaux traditionnels mis en œuvre sont poreux et altérés par l’humidité.

• Lorsque l’effort de poinçonnement appliqué au mortier est supérieur à sa résistance, les pierres du mur en arrivent au contact direct par points de tangence parfois tellement réduits qu’ils peuvent être poinçonnés par la charge: le désordre risque de s’amplifier brutalement et peut alors provoquer la rupture de l’ensemble

Les eaux phréatiques peuvent dissoudre la chaux, et le mortier peut avoir tendance à se transformer en sable; chargées de nitrates et de sulfates, les eaux du sol peuvent aussi dissoudre le carbonate de calcium des pierres calcaires. Dans des conditions habituelles de fondations normalement humides, il s’agit de processus d’une lenteur quasi géologique. En revanche, l’action est plus rapide lorsque la fondation est régulièrement mouillée et qu’après avoir transité dans les fondations et le pied de mur, l’eau saturée en sulfate de calcium vient s’évaporer sur le parement aérien du mur où elle substitue au carbonate des sulfates dont la cristallisation détache des lambeaux des parements des pierres calcaires poreuses.

Le mortier de chaux, très plastique, est bien adapté à la stratégie constructive traditionnelle (faible rigidité, empilage, déformabilité). En revanche, la capacité qu’a l’eau de l’imprégner diminue sa résistance.

Effets de l’humidité dans les murs

Les effets de l’humidité dans les murs sont excellemment décrits dans le chapitre 2.1, Les altérations, du Guide du diagnostic des structures, ANAH, ministère de l’Urbanisme et du Logement, 1984.

L’eau est à l’origine de la plupart des désordres observés:

• les bons sols humides au niveau des fondations vont en général se tasser irrégulièrement; • mouillé, le mortier de chaux a une moindre résistance qui favorise les déformations;

• les eaux pures, acides ou séléniteuses (qui contiennent du sulfate de calcium) altèrent les mortiers et les pierres.

Acides ou pures, les eaux de pluies et les eaux phréatiques vont dissoudre la chaux traditionnelle – à la limite, il ne restera plus que le sable du mortier – et altérer les pierres calcaires par décollement des parements.

Les eaux séléniteuses phréatiques vont provoquer une altération du mortier par gonflement et dislocation, ainsi que des décollements des parements des pierres au niveau des évaporations.

Il est relativement aisé de protéger efficacement les murs contre les eaux de pluie: avant-toits ou «passées de toiture», corniches, génoises éloignent les ruissellements du mur qui est luimême mis hors d’eau par l’enduit.

En revanche, il est beaucoup plus difficile de lutter efficacement contre les remontées des eaux phréatiques qui, en provenance du sol, s’élèvent par capillarité dans les maçonneries jusqu’au niveau, intérieur ou extérieur, où elles pourront s’évaporer. Ce phénomène d’ascension capillaire des eaux du sol dans les maçonneries traditionnelles est le plus grand des problèmes rencontrés en réhabilitation.

L’importance de l’ascension capillaire dans les murs est plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était traditionnellement car le pompage, autrefois limité aux seuls effets de l’insolation et du vent, est désormais amplifié:

• les sols intérieurs et extérieurs sont imperméabilisés et les eaux du sol ne peuvent plus s’évaporer que par l’intermédiaire des murs;

• les maisons sont chauffées, les menuiseries étanches et les habitants, qui vivent plus qu’autrefois au niveau des rez-de-chaussée, sont également plus sensibles à l’état de leurs murs. Au triple niveau de la pérennité des ouvrages, de leur confort et de leur aspect, il est particu-

lièrement important et malheureusement coûteux et difficile de bien maîtriser ces remontées d’humidité qui peuvent rapidement transformer en taudis des logements réhabilités.

L’eau, sous toutes ses formes, est l’ennemi n” 1 des maçor nenes traditionnelles: elle est fréquemment à l’origine dé tassements, déformations, altérations du mur.