La construction traditionnelle

Science traditionnelle de la construction

En observant les techniques de la tradition, on découvre une véritable science dont l’efficacité est attestée par une masse considerable de références résultant d’une pratique longue de quelques millénaires, et qui était encore universelle il y a un plus d’un siècle (voir en annexe une liste chronologique des références).

La science de la construction traditionnelle correspond à une connaissance exacte et raisonnée, fondée sur l’expérimentation du comportement en œuvre des matériaux de construction (l’absence de critères théoriques pour le choix des sables a provoqué pas mal de surprises/Jo C’est évidemment une science traditionnelle, exclusivement expérimentale et qui s’est développée sans aucune théorisation mathématique. Son caractère scientifique est parfois occulté à nos yeux par l’archaïsme de formulation de certaines règles qui peuvent alors amuser. Et pourtant, ça tient !

On peut tenter de théoriser cette originalité des structures traditionnelles qui est leur aptitude à accepter des déformations sans désordres graves, à l’inverse des structures modernes projetées et calculées pour être rigides et indéformables.

Sauf reprise en sous-œuvre généralisée, inutile et inacceptable économiquement, la nécessité de l’aptitude à la déformation sans désordre grave d’un bâtiment sans fondations rigides et dimensionnées n’est pas modifiée par la réhabilitation, qui ne doit donc mettre en œuvre que des solutions techniques compatibles avec la souplesse du milieu.

Déformabilité sans désordres

Pour les constructions ordinaires, celles qui sont en général réhabilitées en acquisitionréhabilitation, la tradition ne s’est préoccupée ni de la définition du bon sol, ni de la surface d’une semelle de fondation qui soit adaptée à sa résistance et à la charge, ni de la réalisation d’un ouvrage de fondation rigide (dans le cas des maçonneries de commande, des précautions particulières sont prises : les fouilles sont profondes, les pierres de fondation sont appareillées et une certaine rigidité est ainsi atteinte; cf. chapitres Murs et Fondations).

En effet, la tradition ne dispose ni de critères théoriques pour apprécier la résistance d’un sol, ni d’un liant assez résistant pour assurer la rigidité de la maçonnerie de fondation (la résistance à la compression à 28 jours qui est de 20 bars pour la chaux aérienne traditionnelle, de 30, 60, ou 100 bars pour les chaux hydrauliques modernes XHA ou XHN, atteint 250, 450, 550

bars pour les ciments actuels); la largeur de la semelle semble ne dépendre que de l’épaisseur du mur bâti sur l’ouvrage de fondation.

Ainsi, dès l’origine de sa construction, le bâtiment traditionnel est réalisé d’une manière telle qu’il va probablement se déformer. Bâti en continuité et de la même manière, avec les mêmes matériaux, totalement solidaire de la fondation, le mur en élévation va également se déformer en accompagnant et en amplifiant les mouvements de la fondation et ainsi presque décrire, par le « jeu graphique» des fissures et des déformations, les forces et les faiblesses de l’ensemble de la maçonnerie.

Portés par les murs maîtres, par l’intermédiaire d’un simple appui jouant le rôle d’une articulation, les poutres des planchers et les entraits des charpentes jouent relativement librement par rapport aux déformations des ouvrages de maçonnerie.

Acceptées de fait dès la fondation, tolérées par les articulations des ouvrages portés, les déformations de la maçonnerie sont rendues possibles par la faible résistance à la compression des mortiers de chaux aérienne qui autorise sans désordre de légères translations en réponse aux contraintes lorsqu’elles dépassent le seuil admissible (cf. chapitre Murs, Les désordres dans l’ensemble du mur).

Ainsi, le bâti traditionnel semble avoir la particularité de disposer d’une marge d’adaptation à des contraintes nouvelles au prix de déformations tolérées structurellement.

Ces adaptations successives s’expriment par les fissures et les déformations dont la lecture méthodique livre des informations sur l’histoire et l’état des structures du bâtiment.

Ainsi, les modestes arts de bâtir de la tradition, au prix du soulagement que leur procurent quelques ruptures en réponse à des contraintes inadmissibles, prennent quelques libertés par rapport au monde actuel des normes et des règlements.

Ce sont ces libertés, peut-être amplifiées par les effets structurants sur les sols et les maçonneries des pressions de consolidation, qui ont contribué à donner à l’œuvre urbaine sa souplesse d’utilisation. Pendant des siècles, sans désordres irrémédiables, le bâti traditionnel a été sans cesse adapté aux besoins de la société locale et a subi surélévations, modifications des percements et autres variations architecturales.

Principes de rénovation

Le bâti traditionnel va d’autant mieux tolérer la rénovation contemporaine que les ouvrages créés auront un comportement en œuvre en sympathie avec celui de l’existant. Il semble en particulier nécessaire que les éventuelles nouvelles structures puissent accompagner quelques infimes mouvements sans qu’apparaissent des désordres secondaires amplifiés à leur niveau parce qu’il serait celui de la rencontre entre le rigide et le souple.

Ces rencontres qu’il faut gérer entre l’ancien et le moderne se situent dans trois domaines structurels principaux :

• les maçonneries verticales, murs et fondations, où les reprises devraient être exécutées d’une part en utilisant des mortiers à faible résistance à la compression (chaux aérienne, XHA ou XHN 3 ou 6, CM ou CN 16, mortier bâtard … ), d’autres part en maçonnant des éléments de taille comparable à celle des pierres du mur (dans le cas des agglomérés, faire des joints épais).

• Les ouvrages portés horizontaux, les planchers; toutes les fois où cela est possible, les planchers existants seront conservés et éventuellement renforcés par un dallage mince armé;

lorsqu’il sera nécessaire de réaliser un plancher neuf, il pourra être économiquement bâti suivant le mode traditionnel, ou bien en utilisant des solutions modernes de B.A., sous réserve d’être particulièrement attentif au problème que pose son appui sur les murs.

• Les appuis sur murs des planchers; outre son rôle de support, l’appui traditionnel joue le rôle d’une rotule et celui d’un ancrage pour le chaînage constitué par la poutre; la pénétration ponctuelle de l’appui de poutre ne désolidarise pas les deux éléments maçonnés du mur ordinaire; le plancher renforcé ou le plancher neuf doivent respecter le programme de l’appui traditionnel.

De plus, pour assurer sa continuité d’utilisation, peut-être faut-il aussi s’efforcer de conserver la flexibilité de réemploi du bâtiment réhabilité. Le respect de cet objectif, inspiré par la saveur et la convivialité de l’œuvre urbaine, par les difficultés techniques et le coût des modifications à apporter à des groupes d’habitation récents où il n’y a parfois d’autres ressources que la démolition, va dans le sens de l’économie à court, moyen et long terme.

Enfin, le respect de certaines formes de l’organisation traditionnelle des logements anciens va parfois dans le sens du plaisir d’habiter ailleurs que dans un logement type. Le principe même de cette conservation pose le problème du respect des règles qui contribuent à décrire le confort moderne : isolations thermique et phonique, ventilation, organisation géométrique du logement. Lorsque des performances réglementaires sont tolérées, lorsque le confort bourgeois des années 60 est considéré comme un objectif acceptable, le décor intérieur fréquemment intéressant pourra souvent être conservé et le coût de réalisation du projet sera singulièrement abaissé.